Les échos d’un commercial à Grenoble de 1956-1967.

Suite des épisodes précédents de José Bourboulon.

COMMERCIAL A GRENOBLE 1956 - 1967 ( 7° épisode ).

J’ai retrouvé un document intéressant que je vous livre en toute modestie car il est presque un peu ridicule aujourd’hui, mais, trente sept ans après, j’y retrouve bien mes illusions, mes soucis et mes indignations de chef de secteur commercial âgé de trente deux ans, isolé et subitement pris dans une tourmente déclenchée en 1960 (IBM 1401) et encore plus en 1964 (série IBM 360) par une supériorité IBM dont je n’avais pas soupçonné qu’elle pût être aussi écrasante.

C’est un brouillon manuscrit dont vous avez un fac-similé partiel, mais que je retape pour le rendre lisible ; naturellement je n’y change pas un mot. Il est fait sur un questionnaire ronéotypé reçu de BGE, que j’avais oublié de dater, mais qui est de 1965, je ne sais pas en quel mois mais certainement du premier semestre. Naturellement aussi, je n’ai jamais eu de retour sur le résultat de cette enquête, et je ne sais d’ailleurs même pas si Laurent Artru, mon chef (" chef de ventes zone 5 " à Lyon), l’avait transmis à Paris : dans mon souvenir, il ne m’en a jamais parlé.

Je crois bien que j’ai répondu tout seul à cette enquête, sans même en parler à Kampf qui n’a jamais dû être au courant.

La première page, très raturée, a trait aux chiffres : effectifs, poids du secteur et nombre de démarrages en 1963 et 1964. Je ne vous remets que les parties " littéraires ", que voici (en gras les questions de B.G.E. et en italique ce que j’avais écrit) :

Feuille de notation de José sur la situation du secteur de Grenoble.

IV. COMMENTAIRES DU CHEF DE SECTEUR.

 

  1. sur la situation actuelle du secteur, comparée à celle de la concurrence (moyens, parcs, etc…)
    1. IBM dispose : d’une école de perforation de 9 ingénieurs commerciaux et ingénieurs technico-commerciaux MACP et ordinateurs, d’un service-bureau équipé d’une 1401 à cartes.
    2. IBM Grenoble est à même d’organiser des séances de tests psychotechniques et dispose des batteries de tests nécessaires.

      IBM dispose d’une salle de conférence et de cours. Il s’agit d’une véritable direction régionale à part entière.

    3. Le matériel IBM fonctionne très bien.
    4.  

      b) sur l’évolution des clients (B.G.E., concurrence ou non mécanisés)

      • dans l’année
      • dans les trois ans à venir

      L’évolution des clients dépend de celle du matériel, car ils sont maintenant presque tous prêts à suivre, ou du moins le croient-ils.

      Dans l’année : - 9 gammas 10 à installer dans le secteur

          • - annonce de nouveaux matériels BGE ?

      - succès du 360 ?

       

      Ce sont les trois facteurs qui peuvent précipiter ou ralentir l’évolution des clients dans l’année.

      Dans les trois ans à venir : faire une croix sur le matériel 150. Il existe dès maintenant un marché considérable, à peine effleuré par l’IBM 6400, pour un matériel même relativement cher, doté de :

      • Programme enregistré
      • Mémoire à accès direct
      • Time-sharing en gestion (plusieurs MAE d’entrée)

       

      c) sur l’évolution des problèmes

      dans l’année TEMPS REEL

      dans les trois ans à venir TEMPS REEL

      Aussi bien en gestion qu’en automatisme.

      Le développement devrait en être bien plus rapide dans le premier domaine, qui n’entraîne aucun problème d’engineering. Le M 40 en gestion pourrait connaître un développement considérable : aucun ordinateur de gestion actuellement sur le marché ne dispose des interruptions de programme et de la protection mémoire nécessaires en temps réel (même sans multiprogrammation), et sans lesquels il n’y a pas d’ordinateurs valables. Le 360-30 répondra à ce besoin si nous ne pouvons y satisfaire dans l’immédiat.

       

       

      d) sur l’état d’esprit actuel

      des cadres B.G.E.

      des Agents de maîtrise B.G.E.

      Chez les uns comme chez les autres : amertume devant la pauvreté de notre situation (traitements et catalogue de matériels), et devant la panique qui paraît régner à Paris à tous les niveaux.

       

      1. sur l’état d’esprit des clients (B.G.E. et concurrence) à l’égard de B.G.E.

      B.G.E. a perdu le capital de sympathie de BULL,

      n’a pas bénéficié le moins du monde, chez les clients de notre secteur, de l’apport G.E., qui ne s’est encore manifesté nulle part (ni nouvelles machines, le 400, presque toujours trop gros, n’ayant pas de vocation scientifique, ni publicité, ni notoriété etc…)

      IBM tire un profit considérable de cette absence.

      Nos commandes se sont arrêtées en juillet 1964. Notre position, assez forte auparavant, et en tout cas aussi forte que celle d’IBM, s’est entièrement dégradée, et nous ne ramassons que les miettes.

       

      V. SUGGESTIONS DU CHEF DE SECTEUR

      Dans tous les domaines – ad libitum –

      1. Catalogue. BGE. doit avoir une politique à long terme, mais aussi une politique à très court terme : Les jours perdus actuellement ne se rattraperont plus. Le 360, bien parti malgré certains handicaps, va faire des ravages dès que son succès s’annoncera. Dans le domaine du catalogue, l’exclusion du Gamma M 40 de la gestion nous coûte notre position tous les jours. C’était la meilleure machine Bull, et de loin, depuis le Gamma 3.
      2. Notoriété. Il y a tout à faire : gamme, publicité de masse, manifestations de prestige, traitements et salaires, installation de machines de démonstration dans les secteurs, publicité locales (genre : "  BULL-GE Grenoble = 60 personnes à votre service ")
      3. Locaux. A Grenoble : ne pas louer la deuxième partie du nouveau local (salle de cours, école de perforation, et bureau d’adjoints supplémentaires).
      4. Ne pas vendre l’ancien local, à affecter à un centre de démonstration et d’essais de programmes pour la nouvelle gamme et la petite machine.

        Il vaut mieux renforcer Grenoble à fond que créer des sous-bureaux étriqués à Valence ou Annecy.

      5. Moyens administratifs. Il reste à créer un secrétariat de secteur équipé convenablement (machine à photocopier).
      6. Traitements. Ingénieurs commerciaux et ITC : pas d’intéressement ou intéressement calculé par des moyens simples, tels que chacun puisse évaluer le rapport de telle affaire ou le coût du renforcement du secteur en I.C., I.T.C., secrétaire etc…Une seule base d’intéressement : le chiffre d’affaires total du secteur (y compris personnel en régie, rubans magnétiques, et heures supplémentaires par exemple).

      Inspecteurs et agents techniques : salaires en proportion des offres de la clientèle, surtout dans les échelons élevés.

      Les capitaux issus de la facturation des agents techniques pourraient bien être affectés aux augmentations de salaires ou à l’équipement des secteurs en engins de démonstration ?

      1. Effectifs Le lancement d’une gamme basse ne pourra être assuré que par des effectifs suffisants en I.C. Les ingénieurs doivent pouvoir être choisis par le chef de secteur, comme tous ses collaborateurs.

       

      Voilà ce que j’avais répondu à cette enquête. Si B.G.E. avait suivi mes recommandations, chaque secteur serait devenu indépendant, les dépenses se seraient envolées et les recettes n’auraient peut-être pas beaucoup augmenté. Ce que je n’ai jamais cessé de regretter, c’est l’exclusion du M 40 de la gestion : il y avait sûrement de bonnes raisons à cela mais je ne les ai jamais connues.

      Ce petit texte n’a évidemment aucune valeur, mais il reflète bien l’état d’esprit d’un petit chef de petit secteur de province, complètement déstabilisé par ce qu’il percevait comme l’incurie de sa direction générale ayant entraîné une supériorité d’IBM ressentie comme une injustice..

      José BOURBOULON

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