Les échos d’un commercial à Grenoble de 1956-1967.

III – 1959 et 1960 : VERS UN BUREAU ET UNE SECRETAIRE,

MAIS VERS L’IBM 1401 !

Le 1° janvier 1959, de " Cadre commercial, adjoint de Secteur, position II B ", je passe " Adjoint de Secteur Commercial position II B", avec 3.000 francs (anciens) d’augmentation par mois. Je suis toujours à la maison, le courrier est toujours tapé à Lyon par Denise Girin, secrétaire de Laurent Artru.

L’année 1959 est une année de routine, je suis toujours seul commercial sur le territoire Dauphiné-Savoie. Mais il y a avec moi une remarquable équipe de techniciens, au premier rang desquels Jacques Lagoutte que le fisc ne sait jamais bien où trouver. Ce doit être à cette époque-là que François Odin - créateur plus tard avec deux de ses collègues de la s.a.r.l. Sogeti - arrive à Annecy comme agent technique également, de très haut niveau lui aussi, mais aussi organisé et méthodique que Lagoutte est fantaisiste.

Pendant toute cette période je n’ai pour ainsi dire pas de chef : la hiérarchie parisienne est inexistante, je ne reçois jamais d’instructions ni de formation de la part de Laurent Artru qui me laisse faire ce que je veux, je n’ai pas de budget, il n’y a pas de reporting du tout. Seul Yannick Geffray, " adjoint de secteur " à Lyon continue à me tenir par la main. Mais le catalogue de produits est remarquable, je suis seul en face de toute une équipe de commerciaux IBM (Astic, Crouïgneau, de Baudéan etc…) emmenée par un Christian de Fleurieu peu agressif, et je crois que sur la période j’en ai fait autant qu’eux tous.

En 1959 se construit à Grenoble le Centre d’Etudes Nucléaires (CENG), dont le chef comptable Charles Sontag met une annonce dans le Dauphiné Libéré pour rechercher le chef de son futur service mécanographique; c’est comme ça que je lui tombe dessus, et que je lui vends une tabulatrice BS, équipement qui ne cessera de grossir jusqu’à un Gamma 30 S quatre ans plus tard moyennant des efforts d’assistance technique jugés insensés à cette époque par quelqu’un dont je reparlerai.

C’est aussi l’époque des Eaux Minérales d’Evian, au bout du bout de mon territoire, et je vends un équipement BS à Gilbert (?) Crozat, directeur administratif, que je retrouverai bien plus tard chez Manu France.

En 1960 je ne trouve comme nouvelle référence que les Chaussures Cléal à Saint-Donat sur l’Herbasse dans la Drôme, petit village de rien du tout rendu célèbre alors par les concerts d’orgue de Marie-Claire Allain. Mais Cléal (chaussures pour enfants de marque " Patachou ", Monsieur Montclus PDG), avec une T.A.S., a été la première de mes références dans la chaussure qui a été suivie de plusieurs autres de plus grande notoriété.

José intègre le 2, boul. Foch

Sur le plan interne, 1960 a surtout été l’année de mon bureau à Grenoble. Je crois que c’est Georges Vieillard, DG de la compagnie, qu’on disait natif de la banlieue de Grenoble (Saint-Martin d’Hères)2 et possédant une maison à Saint-Nizier (environ 10 km de l’autre côté), qui a poussé Artru à y installer un bureau.

La compagnie a donc acheté une ancienne loge de concierge dans les nouveaux quartiers (2 bd Foch, en fait place Gustave Rivet) et l’a aménagée en bureaux : le SEC (Igonin, Ravier et les autres, avec leurs pièces détachées et leurs plans) dans l’ancienne cuisine, les agents techniques dans l’une des deux pièces, et votre serviteur dans l’autre pièce, commandée par la première. Le mobilier Ronéo a été de rigueur : Madame Dupuy, la patronne de Ronéo n’était-elle pas plus ou moins à la tête du Sicob, présidé par Hermieu proche de Georges Vieillard ?

Après dix neuf mois de travail à la maison, ce petit local a naturellement changé ma vie professionnelle, mais il y fallait évidemment une secrétaire ; j’ai donc mis une petite annonce, et j’ai eu comme candidate une employée de l’Institut Polytechnique, Odette Bernard-Colombat, magnifique blonde de 18 ans dont Laurent Artru est venu de Lyon approuver le recrutement. Odette s’est installée dans la petite pièce des agents techniques, avec Lagoutte, Bourbon, Gojon et les autres, non loin des " mécaniciens " du SEC. Je lui reste reconnaissant de ne jamais avoir, à ma connaissance du moins, créé de drames avec ou entre tous ces techniciens qui ont bien dû soupirer dans ce tout petit endroit !

Odette est devenue en 1967 la secrétaire du PDG-fondateur de SOGETI S.A. devenue Cap Gemini Ernst & Young, et l’est encore aujourd’hui. Elle n’a sûrement jamais regretté son entrée chez Bull !

Mais sur le plan externe, 1960 a été, au Sicob d’octobre, l’année de l’apparition de l’IBM 1401, qui a complètement changé le paysage professionnel. Le 1401 avait été présenté comme le satellite entrée-sortie des gros ordinateurs 7090 (gestion) et 7094 (scientifique), et pas du tout comme un ordinateur indépendant. Or il a eu tout de suite une immense carrière d’ordinateur de gestion indépendant :

Ce sont les banques, grandes dévoreuses d’entrées-sorties, qui s’en sont d’abord emparées ;

u jamais vu sur la terre des commerciaux et des clients.

A l’époque il y avait chez Bull un homme précieux nommé Monsieur de Lespinay, qui tenait soigneusement à jour les références de la concurrence : dans l’édition de fin 1960, j’avais relevé pas moins de 250 commandes de 1401 ! 250 ordinateurs vendus en France en moins de trois mois, et principalement chez des clients de la compagnie, car les banques étaient majoritairement équipées de matériels Bull, et elles les achetaient de surcroît ! Imprimer à 600 lignes-minute au lieu de 150 avec nos tabulatrices, c’était irrésistible pour des installations qui avaient des batteries de BS 120 pour imprimer des lignes comptables et des bordereaux par dizaines de milliers chaque jour !

Et même pour ceux qui n’en avaient pas besoin, le 1401 a provoqué un retournement complet de l’image respective de Bull et d’IBM : nous n’étions plus les meilleurs, nous étions enfoncés sur notre cœur de métier.

J’ai toujours pensé que la décadence de Bull avait commencé en octobre 1960, quels que soient les succès ultérieurs du Gamma 10 et du Gamma 30.

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A suivre…

José BOURBOULON.

2 Mais que Paulette Richomme donne, page 40 de sa thèse de 1991, comme natif de La Mulatière (Rhône), ce qu’elle qualifie de " naissance dauphinoise "…le doute est donc permis.