Compagnie des Machines BULL
LA CARTE PERFORÉE
base des applications industrielles du traitement de l’information
1] Éléments et principes de base
Le contexte : le 19ème
siècle voit l’émergence de la révolution industrielle, c’est
l’ère de la technologie mécanique et les énergies deviennent largement
disponibles, dont l’énergie électrique.
Les machines envahissent les usines et il y a un besoin de plus en plus pressant
d’automatiser ces machines pour créer des " processus
industriels ".
Pour automatiser il faut :
- enregistrer dans une mémoire une suite
de commandes spécifiques à une machine et à un travail précis,
- relire automatiquement et de façon
récurrente cette suite de commandes.
Les applications largement connues du grand public sont : l’orgue de
barbarie, les automates et le métier à tisser Jacquard.
Le principe : une
commande est représentée par un ou plusieurs trous dans un support résistant ;
chaque trou a une signification précise selon son emplacement ; chaque
commande est ainsi codée. Le support est une bande de carton souvent bouclée
sur elle-même. Pour reconnaître successivement les commandes la bande défile
devant un dispositif de lecture qui est
- soit mécanique : une pointe tombe dans un trou situé à un emplacement
précis (et ceci à un moment précis) ; le mouvement de la pointe actionne
la commande ainsi sélectionnée.
- soit pneumatique le trou permet à l’air sous pression d’agir sur la
commande.
- soit électrique : un contact est établi à un emplacement et à un
moment précis, le courant électrique actionne la commande à
l’aide d’un électro-aimant.
Les caractéristiques de cette " mémoire programme "
sur bande
- elle est lue automatiquement
- elle est permanente
- elle n’est pas modifiable
- sa capacité est variable mais
finie
- elle est spécialisée pour un
programme précis
- elle utilise un code spécifique à
la machine
2] Naissance de la mécanographie à carte perforée
Hermann
Hollerith, obtient le contrat pour le dépouillement du recensement de 1890 aux
USA car son invention : la carte perforée permet de mémoriser la masse
des informations à traiter.
- Il
reprend l’idée de coder l’information par des trous dont les
coordonnées sont représentées sur l’axe horizontal par des colonnes
(à l'origine 45 puis, depuis 1930, le plus souvent 80) et sur l’axe
vertical par 10 lignes affectées chacune à la valeur des chiffres de 0
à 9, plus 2 lignes réservées pour des codes qualifiants ces données
(ex : nombre négatif et extension du code pour la représentation
alphabétique). |
- la carte passe
horizontalement devant le poste de lecture et la valeur du caractère est défini
par l’instant auquel il est lu.
- il regroupe sur une seule carte des
données homogènes référencées par un argument commun (l’identifieur).
Les caractéristiques de cette " mémoire" :
- les dimensions des cartes sont standard,
mais des applications particulières sont résolues par des aménagements qui
permettent d’obtenir ; des cartes étiquettes, des cartes à talon etc.…
- le code est " standard "
sa valeur numérique est déterminée par la coordonnée verticale du trou sur
la carte, il y a la ligne des 9 puis des 8 etc…
- la représentation alphabétique
est faite avec 2 trous sur la même colonne.
- cette mémoire est
permanente
- mais elle peut être complétée, par l’utilisation de colonnes non encore
utilisées.
- elle est lue automatiquement,
- chaque carte portant un argument d’identification, sa place n’est pas fixe
par rapport aux autres cartes. Il en résulte :
- l’ordre des cartes est modifiable, les données peuvent être classées (triées)
par des machines
- leur nombre n’est pas limité
- elles peuvent être groupées en " fichier "
- accessoirement, elle est manipulable et facilement lue par les opérateurs. Si
les cartes sont utilisées au niveau de " guichets " ou de
" magasins " afin de fournir l’état de situations, les
données utiles sont imprimées sur le haut de la carte pour être lues par les
employés.
Remarque :
La carte perforée est tout à fait
assimilable à une pièce mécanique traitée successivement par des machines
différentes pour lui faire subir des traitements et aboutir à un produit fini.
C’est le processus de " travail en série " du 19ème
siècle qui, en mécanographie sera appelé " travail par lot "
ou " batch ".
La carte perforée est principalement utilisée de 1890 à 1935 pour les travaux statistiques, puis à partir de 1935 pour tous les travaux administratifs et de gestion. Elle sera largement utilisée par les ordinateurs jusqu’à la fin des années 1970. Elle sera définitivement détrônée par le mode de travail " transactionnel " qui à partir d’un terminal, permet une interaction directe entre l’ordinateur et l’utilisateur
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les machines à statistiques et de comptabilité
évolution de la mécanographie
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Élargissement du marché
Vers le milieu des
années 30, les banques et les assurances sont demandeuses d’équipements mécanographiques
car elles ont aussi de grosses quantités de données à traiter régulièrement.
Cette orientation ouvre aux constructeurs le marché de
la gestion y compris dans l’industrie, ce qui demande de nouvelles fonctions :
- pour les tabulatrices, elles
doivent pouvoir
- imprimer
- soustraire au rythme de la vitesse de lecture des cartes
- disposer de plus grandes capacités de calcul en nombre de
positions, mais aussi réaliser exceptionnellement des multiplications et
divisions
- être d’une utilisation plus souple : les programmes
deviennent complexes, les tableaux de connexion deviennent amovibles
- pouvoir perforer des cartes de récapitulation de résultats
- par la création de
nouvelles machines auxiliaires spécialisées :
-
l’interclasseuse permet dans certain cas de diminuer les temps
de tri |
|
- la calculatrice
qui effectue des calculs à partir de données lues sur une carte et
perfore les résultats sur la même carte (ex : calcul d’un
prix de revient unitaire : coût total / quantité) |
- la PRD (Poinçonneuse Reproductrice Duplicatrice) duplique et
compare les fichiers - l'ULP (Unité de Lecture et de Perforation) remplacera la calculatrice et le PRD dès la disponibilité de Gamma 3. |
|
- la traductrice permet d’imprimer sur une carte les données
perforées |
|
- la reporteuse imprime plusieurs liges sur une carte en une ou
plusieurs fois permettant d’utiliser celle ci comme support de saisie
(ex : étiquettes, fiches de stock). |
- le photo-lecteur et le magnéto-lecteur saisissent
automatiquement les données crayonnées en direct sur les lieux de production.
- etc…
- la puissance électrique consommée impose la nécessité d’installer des groupes électriques tournants pour générer le 48 volts continu.
Évolution technologique
La technologie évolua très
peu jusqu’au début des années 50, il y eut essentiellement des
perfectionnements tels que la mise en service par Bull des " petits
relais " et les améliorations mécaniques qui permirent de doubler la
vitesse des machines.
En 1950 le calculateur électronique
fit son apparition, il permet de faire tous les calculs à la vitesse maximum
des machines. Il est connecté à la tabulatrice et à la PRD, ce qui arrête
immédiatement l’utilisation et la commercialisation des calculatrices.
Le calculateur électronique devient
rapidement scientifique par ajout de mémoire, notamment des tambours, c’est
la transition qui annonce l’arrivée de l’ordinateur.
Le brevet d’imprimante
rotative a permis aux tabulatrices Bull d’avoir une vitesse de fonctionnement
surclassant la concurrence pendant plus de 30 ans.
Les tabulatrices successives sont : la T30 avec imprimante numérique,
la T50 avec imprimante alphanumérique, la S 96, puis la
BS 120 (le nombre incorporé à l’identification indique le nombre de
position de totalisation).
tabulatrice T 30 |
tabulatrice BS 120 avec |
la mécanographie et les calculs:
Les calculs scientifiques étaient
pratiquement exclus des traitements mécanographiques avant la disponibilité
des calculateurs électroniques.
Pour les applications de gestion, c’est la lecture des cartes données qui
contrôle le calculateur électronique, il ne peut travailler qu’après la
fin de la lecture d’une carte et le début de la lecture de la carte suivante,
c’est à dire pendant 20% du temps. Il était naturel de chercher à utiliser
toute sa puissance pour traiter des applications scientifiques
Mais les instructions de programme
d’un calculateur sont normalement définies par des liaisons de commandes réalisées
au moyen de fiches sur un tableau de connexion amovible. Un programme ne
contient donc qu’un nombre très limité d’instructions. Pour les calculs
techniques et scientifiques, il faut avoir la possibilité d’élaborer des
programmes très volumineux.
La solution est fournie par la carte
perforée qui a donné la possibilité de supporter directement les instructions
de programme et a repris ainsi le rôle initial qu’elle assurait avant 1890.
C’est le PPC (Programme Par Cartes).
Les instructions étant codées
en binaire sur 16 bits, (4 groupes de 4 bits pour définir le type d’opération
et les adresses), il a été décidé de représenter une instruction par 16
perforations faites cote à cote sur une ligne de carte et de mettre ainsi 4
instructions par ligne, soit 48 instructions exécutables dynamiquement au fur
et à mesure de la lecture de la carte.
Les instructions occupaient 64
colonnes de la carte, il restait 16 colonnes utilisées de façon
conventionnelle pour identifier le programme et la place de la carte dans le
programme.
nb : Le programme est exécuté au fur et à mesure de la lecture des instructions sur les cartes. Le programme contrôle la disponibilité des cartes données qui doivent être insérées à la bonne place dans le paquet de cartes.
Remarques :
- les 4 instructions de chaque ligne
sont exécutées de la gauche vers la droite, elles devaient être terminées
avant le début de lecture de la ligne suivante.
Il était recommandé de ne mettre qu'une seule instruction de longue durée par
ligne telle qu’un multiplication ou une division.
- Il était recommandé de mettre un
nombre " raisonnable " d’instructions par carte pour ne
pas trop affaiblir la tenue mécanique des cartes au cours de leur lecture.
- le nombre de cartes n’étant pas
limite, la taille des programmes était toujours aussi grande que voulu.
- l’itération des programmes était
obtenue en repassant le paquet de cartes autant de fois qu’il était nécessaire.
- le tableau de connexion gardait son
utilité car il affichait en permanence les sous-programmes des opérations en
virgule flottante.
Ce système a été abandonné dès la disponibilité des tambours magnétiques
qui permettaient d’enregistrer des programmes.
CONCLUSION
A la fin des années
50, Bull commercialisa une nouvelle série de matériels à cartes perforées
fonctionnant à 300 cartes à la minute et qui pouvait utiliser 2 dérouleurs de
bandes magnétiques. Ces matériels, très modulaires, furent rapidement
abandonnés car chaque application nécessitait l’utilisation simultanée
d’au moins trois tableaux de connexion.
Le Gamma 10 de Bull et le 1401 à carte d’IBM furent une bonne transition de
la mécanographie à cartes perforées vers l’ordinateur dont le premier modèle
largement commercialisé fut le 1401 à bandes magnétiques d’IBM.
LE TRAITEMENT DE L’INFORMATION
à l’époque de la mécanographie à cartes perforées
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- PRÉSENTATION GÉNÉRALE:
L'essor de la mécanographie
est lié à l'invention des cartes perforées qui permettent de conserver les
informations (codées) sur des supports manipulables qui peuvent être:
. lus automatiquement
. ordonnés en " Fichiers "
Les cartes perforées représentent une technologie de mémoire dont la capacité
est illimitée.
1] - LES FONCTIONS FONDAMENTALES DE LA MÉCANOGRAPHIE
SONT:
11 . Conservation
des informations dans des fichiers permanents.
12 . Accès aux informations par un
poste de lecture.
13 . Ordonnancement et
collationnement automatique des informations réalisés par une machine: la
"trieuse"
14 .
L'acquisition des informations qui comporte un codage des informations
ALPHANUMÉRIQUES est réalisée par une opératrice de perforation qui
utilise une machine: la " perforatrice ". Une seconde acquisition systématique est réalisée, pour contrôler la pertinence des informations, sur un autre type de machine: la " vérificatrice " |
15 . Traitement des
informations:
. trois
fonctions d'Entrée-Sortie:
. lecture de cartes
. impression
. perforation de cartes
. quatre opérations
arithmétiques (totalisateurs mécaniques)
. Les traitements suivent une logique
spécifique qui doit enchaîner et contrôler les opérations réalisées en séquence
par un programme. Un programme est réalisé en modifiant le câblage des
machines par un tableau de connexion amovible . Ces fonctions sont
regroupées dans une machine: la " tabulatrice "
La mécanographie est un traitement d'information par <lot>;
l'équivalent du <batch> actuel, car l'accès à l'information est séquentiel.
2] - LES MACHINES PRINCIPALES SONT:
. Perforatrice - Vérificatrice
. Trieuse
. Tabulatrice et la perforatrice
connectée (PC)
. Traductrice qui permet, si nécessaire
l'accès visuel aux informations.
. La tabulatrice a une capacité de traitement et une puissance finie, il est alors nécessaire de découper artificiellement le traitement qui sera réalisé en plusieurs "unité de traitement logique" et la création de fichiers transitoires. Ces traitements partiels (ou artificiels), liés à une recherche d'optimisation des temps ont poussé à la création de machines spécialisées: :
"les machines secondaires:"
- La " calculatrice "
fournit des résultats intermédiaires perforés sur cartes.
- L' " interclasseuse
" assiste la Trieuse en fusionnant des fichiers déjà triés.
- La PRD " Perforatrice
Reproductrice Duplicatrice " permet de transporter l'information sur des
"supports carte" différents et éventuellement de les reformater, l'
ULP lui succédera.
- Le " gamma 3 ", en
version inférieure ou égale au 764.64, est utilisé pour fournir, un supplément
de puissance de calcul à la tabulatrice.
- Des machines très spécialisées
seront conçues pour répondre à des besoins spécifiques d’utilisateurs. ex:
la reporteuse (impression sur des cartes), l'IPC
(Introducteur Positionneur de Compte) pour l' impression sur de fiches
comptables, etc...
3] - INCIDENCES DE L’ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE
31 - à l'origine les
machines sont mécaniques, puis électromécaniques enfin électroniques.
32 - Le GAMMA 3, calculateur électronique: . connecté à la tabulatrice, il lui fournit une puissance de calcul arithmétique et logique très importante. La tabulatrice reste la machine Principale. . connecté à la PRD, il provoque l'extinction immédiate de la Calculatrice |
|
33 - Le GAMMA TAMBOUR, l'ORDONNATEUR L' "Extension Tambour", avec les programmes enregistrés sur tambour devient la machine principale de traitement. Il dispose des Entrées-Sorties de la Tabulatrice à la PRD.ou à l'ULP. L'ordonnateur peut être connecté à DEUX machines; ses capacités d'entrées-sorties sont doublées mais les informations restent enregistrées sur cartes pour les fichiers permanents. |
La trieuse reste indispensable.
34 - Les BANDES MAGNÉTIQUES
Les informations sont conservées séquentiellement sur un nombre non limité de
bandes magnétiques, qui deviennent le support des fichiers permanents. Les
cartes ne sont plus nécessaires, c’est l’ouverture aux fonctions intégrées
dans une seule machine.
35 - L'ORDINATEUR naît dès que
toutes les fonctions nécessaires au traitement de l’information seront intégrées
dans un seul appareil et contrôlées par un seul "programme". La mécanographie
avec toutes ses machines indépendantes va s'éteindre
- Représentation des caractères alphanumériques sur les cartes perforées
Une carte comporte
12 "lignes". 10 d’entres ell es représentent respectivement
les valeurs de 9 à 0; les lignes "11 et 12" sont des marqueurs
pouvant se superposer aux autres perforations et dont la signification est définie
par l'utilisateur.
Chaque carte comprend 80 colonnes, chaque colonne représente un caractère.
Les caractères NUMÉRIQUES sont représentés par l'une des perforations 0 à 9
- Les caractères ALPHABÉTIQUES sont représentés par l'association
de l'une des perforations 7, 8 ou 9 avec l'une des perforations 11
à 6. . NB: les "I" et les "O" sont confondus avec les valeurs numériques 0 et 1. |
. Lorsqu'elles les perforations <7, 8, 9> composent le code alphanumériques elles sont appelées <PERFORATIONS de BASE>, elles ont une fonction de présélection mécanique pour préparer l'impression des caractères alphabétiques; c'est la raison pour laquelle les cartes doivent être présentées dans les postes de lecture de façon à ce que la ligne des <9> soit lue la première.
- Les perforations
"11" et "12" sont appelés "hors-texte" et reçoivent,
pour chaque colonne, une signification particulière en fonction des besoins.
Les <12> peuvent être associés avec tous les codes alphanumériques et
les <11>.
Les <11> ne peuvent être associés qu'avec des caractères numériques,
OU avec les <12>.
Tableau de codification des caractères sur une colonne
Lignes |
11 |
0 |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
- |
0 / O |
1 / i |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
|
7 |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
|||
8 |
J |
K |
L |
M |
N |
P |
Q |
R |
|||
9 |
S |
T |
U |
V |
W |
X |
Y |
Z |
- la codification des informations - remarque générale
La mécanographie à cartes perforées a eu un impact considérable sur les coutumes administratives, notamment en imposant une codification numérique poussée des informations permettant d'identifier et de regrouper les données.
Par exemple:
- les lieux géographiques: n° d'usine, de département ...
- les individus: n° de répertoire, n° matricule ...
- les objets: n° de pièce, n° d'article ...
- les sociétés: n° de client, n° de fournisseur ...
- etc...
Ceci est dû à deux raisons:
. le nombre très limité des informations pouvant être contenu dans une carte
. les temps de TRI qui sont directement proportionnels au nombre de caractères
à trier,
Ces deux aspects conduisent à condenser les informations qui sont intelligibles
pour le système, mais totalement hermétique à la compréhension humaine.
NB: à l’heure actuelle cette notion de code hermétique ne se justifie plus mais reste souvent un réflexe.
La conséquence a été la prolifération de codes 'hermétiques' à la lecture. Il faudra attendre l'utilisation généralisée des ordinateurs, la disponibilité de mémoires centrales importantes et la disponibilité de mémoires de masse à bas prix pour retrouver petit à petit la possibilité donnée aux hommes de lire et comprendre directement ces "références".
© 1999 Victor Thévenet