Créée le 24 mai 1934 par des syndicalistes, des mutualistes et des coopérateurs, la « Garantie Mutuelle des Fonctionnaires et employés de lEtat et des Services Publics » est devenue lune des toutes premières mutuelles françaises dassurance.
Toutefois, son développement sest accompagné de transitions parfois difficiles dans la gestion. Le Gamma 60 na pas échappé à la règle.
Dès 1939, la GMF choisit des solutions mécanisées pour gérer les contrats de ses sociétaires.
Cest ainsi que les premières machines SAMAS à cartes perforées avec leurs 45 trous ronds permettent de totaliser les cotisations émises.
Elles se révèlent toutefois rapidement insuffisantes pour faire face à la croissance rapide de la Mutuelle dans limmédiat après guerre. Elles sont donc remplacées en 1948 par une deuxième génération de machines SAMAS dont une tabulatrice qui permet dimprimer les avis déchéance établis jusque là manuellement. Cest un grand progrès, mais les décomptes et les documents contractuels relatifs aux nouveaux contrats ne sont toujours pas mécanisés.
Il suffit, dés lors, de penser aux 113.000 nouveaux contrats souscrits en 1956, aux 124.000 de 1957, sans parler des avenants, pour imaginer létat dengorgement dans lequel se trouvent plongés les services administratifs à laube du 27 février 1957, date à la quelle une loi rend obligatoire lassurance de tous les véhicules terrestres à moteur, à compter du 1er avril de lannée suivante.
Devant les files de fonctionnaires faisant la queue 76 rue de Prony pour assurer leur voiture à la GMF, payant ainsi 40% moins cher que dans beaucoup dautres sociétés dassurance, le CA de la Mutuelle réalise que la GMF est incapable de faire face au flux des adhésions nouvelles et décide de fonctionner à « guichets fermés » entre le 15 juin et le 15 novembre 1959 puis, à nouveau entre le 1er juillet et le 31 octobre de lannée suivante. Aucun nouveau contrat nest accepté pendant ces périodes pour la branche automobile.
Malgré cette mesure draconienne, le développement de la mutuelle se poursuit à un rythme étourdissant.
A la fin de lannée 1960, elle compte 800000 contrats en portefeuille.
Lheure est grave.
Consciente de limpérieuse nécessité de se doter dun moyen de gestion capable de prendre en charge ses nouveaux besoins, la GMF décide de se lancer dans linformatique... Car, en cette fin des années cinquante, il sagit bien dune aventure! Rappelons que le 2 décembre 1957, un ordinateur IBM à bandes magnétiques de type 705 a commencé à fonctionner au Groupe Drouot, réalisant ainsi une «première européenne».
La GMF décide à son tour de voir grand.
Elle écarte les petits ordinateurs tel que le Gamma tambour de Bull, le 405 de National, le Datatron 205 de Burroughs ou encore le 650 dIBM et soriente résolument vers des machines évoluées et puissantes.
Huit grands ordinateurs restent en lice et cest finalement le Gamma 60 de Bull qui est retenu en 1960.
Le choix peut paraître aventureux car aucun matériel de ce type ne fonctionne encore.
En attendant larrivée du nouveau matériel, il faut confier une partie des travaux mécanographiques à une entreprise extérieure afin de mettre en oeuvre un système intermédiaire permettant dexpérimenter les conceptions nouvelles destinées au futur Gamma 60.
Il faut notamment transcoder les fichiers des cartes SAMAS en cartes IBM. Cest une période difficile caractérisée par des erreurs nombreuses, et pendant laquelle la GMF va devoir compter sur la bonne volonté de ses sociétaires pour remettre de lordre dans ses fichiers.
Cette période de préparation permet également à la mutuelle de réorganiser son service mécanographique en un service «Etudes informatiques et Exploitation». De nombreuses personnes sont embauchées à cette occasion avec laide de Bull.
La toute première application a pour but dépurer le fichier des nom-adresse des sociétaires afin de permettre routage de la revue de la GMF présentant ses comptes annuels.
Il sagit de traitement simples de comparaison qui ne présentent pas de difficultés particulières et qui sont très rapides.
La deuxième application est beaucoup plus ambitieuse et fondamentale puisquil sagit de mettre à jour périodiquement le fichier des contrats afin démettre dune part les polices nouvelles et les avenants et dautre part les avis déchéance. Les traitements produisent également les sous-produits comptables nécessaires à la comptabilisation des opérations.
Ces programmes, très complexes, sont très difficiles à mettre au point. Par ailleurs, les fichiers issus des transcodages sont de piètre qualité, ce qui explique que des erreurs de programme subsistent encore plus dun an après la mise en exploitation en janvier 196?. Les rejets sont tellement nombreux quun service administratif spécialisé est crée pour résoudre ces « litiges ».
Une autre difficulté provient de la fiabilité du matériel et tout spécialement de la mémoire centrale. Les traitements de mise à jour sont tellement longs que la machine tombe en panne avant quun dérouleur nait basculé, cest à dire avant le premier « point des reprise ».
Je tourne la difficulté dune part en faisant changer la mémoire centrale et, dautre part, en programmant des « points de reprise » intermédiaires ce qui, malheureusement, allonge un peu le temps de traitement.
Cest au jeune ingénieur en clientèle que jétais alors de prendre les responsabilités ad hoc, étant précisé par Bull que tout mécontentement du client me serait imputé.
Les premiers traitements de mise à jour commencent début 1962 sur la machine de la GMF alors que je suis toujours ingénieur chez Bull et continuent à la fois sur la machine GMF et sur une machine située avenue Gambetta lorsque je suis embauché par la GMF, ce qui tendrait à prouver que le client nest pas mécontent des prestations fournies. Une fois maîtrisé le traitement de mise à jour des contrats, nous avons maintenant une bonne expérience de la machine et surtout des méthodes nécessaires pour la mettre en oeuvre.
Nous pouvons donc passer à la vitesse supérieure, cest à dire linformatisation de la comptabilité puis celle des sinistres. Tout cela ne se fait pas sans pleurs ni grincements de dents. Ainsi, par exemple, certains comptes de sociétaires sont encore faux cinq ans après le lancement de lexploitation du Gamma 60. Il faut dire que la GMF compte déjà 1.000.000 de contrats en 1965 avec plus de 100.000 contrats nouveaux dans lannée tandis que plus de 200.000 sinistres par an sont déclarés par les sociétaires.
Une fois ces difficultés maîtrisées nous devenons les champions du Gamma 60 qui nous donne de grandes satisfactions, à tel point que le conseil dadministration décide dacheter la machine jusque là en location.
Les portefeuilles de contrats progressent constamment tandis que les effectifs stagnent ou progressent lentement. La fiabilité du matériel saméliore suffisamment pour que les pannes ne constituent plus un sujet de préoccupation.
Mais déjà se font sentir les limites dune machine obsolète dont le développement nest plus assuré par le constructeur et dont la conception technique est fermée: pas de mémoire de masse, pas de télétraitement.
Or la GMF ouvre des bureaux en province et a besoin de traitements en temps réel.
Le conseil dadministration de la GMF ayant décidé en 1966 de faire construire un centre administratif à Saran, près dOrléans, il est également décidé que le bâtiment abritera le remplaçant du Gamma 60.
En 1969, après une étude approfondie par mes soins des problèmes de transfert, la GMF passe commande à Bull - General Electric dun ordinateur quatre fois plus puissant que le Gamma 60, le GE 615. Certes, lIBM 360 nétait pas sans intérêt mais les problèmes de conversion dapplications rendait aléatoire une migration vers ce constructeur. Le GE 600 permettra les développements rendus nécessaires par la décentralisation des opérations dassurance dans les 50 bureaux de lentreprise.
En 1971, le nombre de contrats gérés dépasse 2 millions et les effectifs atteignent 2000 personnes . En cours dannée, les premiers essais de télégestion débutent entre les bureaux parisiens et le centre de Saran. Les mémoires de masse Control Data M55800 commencent à tourner. Cest seulement en 1973 que les premières transactions en télégestion sont opérationnelles.
Au même moment , le Gamma 60 est arrêté.
Ainsi se termine une période au cours de laquelle la transition entre la mécanographie et les grands ordinateurs aura été loccasion de mutations profondes dans létat desprit du personnel (et de la direction!) et dans lorganisation du travail de la GMF. tout était à découvrir: le matériel, la programmation, les méthodes. Cétait la nouvelle frontière pour beaucoup de gens et tout spécialement pour lingénieur en clientèle que jétais.
Pour les pionniers de la première heure, laventure devient routine... mais ils gardent au fond deux mêmes le sentiment davoir participé à un grand moment de lhistoire de la GMF.
Jean Jacques Vial